Être à contre-courant

Clem Onojeghuo

Comme j’en ai parlé récemment, je suis en congé, en pause professionnelle, en arrêt volontaire. Et je me sens étrange, comme décalée du reste du monde. Cette fin de semaine, je me sentais normale, comme tous les autres week-ends : un peu de ménage, du lavage, l’épicerie, un souper samedi… Mais ce matin, j’entendais les voitures démarrer et je savais que j’avais un immense privilège de ne pas aller dans le trafic pour pester contre les infrastructures et le transport en commun presque inexistant en périphérie de la grande ville.

Quand on décide de s’arrêter et de prendre son temps, les gens ne savent pas comment réagir. Certains se demandent si je suis malade, si je cache quelque chose… Rassurez-vous, j’ai toute ma tête et je ne me suis jamais sentie aussi bien! C’est justement pour me sentir bien que j’arrête, pour ne pas me surmener et pour donner à mon esprit un peu de légèreté et de futilité, pour cesser de le bourrer d’informations d’entreprise et d’informatique. Remplacer les analyses par des recettes de légumes frais, troquer le clavier pour un livre…

Je suis pleinement consciente que c’est un luxe que peu de gens peuvent se permettre mais je sais aussi que j’ai travaillé fort pour cela et que je le mérite. Je n’ai pas de plan concret, pas de date en tête pour la fin de ces vacances, ni de perspective officielle pour l’après. Et, alors qu’avant ça m’aurait terriblement angoissé, ça ne me dérange pas ni ne me crée de l’anxiété. Je me sens à ma place, je me sens paisible et en confiance et c’est un sentiment très euphorisant. Je ne sais pas où je vais et je ne veux pas le savoir. Pour la première fois de ma vie, ça m’est égal. L’important, c’est ici et maintenant.

Et mon cœur léger n’est sans doute pas incohérent avec l’état de santé de mon beau matou qui, contre toute attente, s’est remis à marcher, à manger et à ronronner… La vie nous réserve parfois des surprises insoupçonnées! Je ne me fais pas d’illusion, la cortisone est la seule responsable de ce regain et sachant qu’il n’a qu’un seul rein fonctionnel, je me doute que ce traitement ne pourra pas durer éternellement mais je profite d’autant plus de chaque minute avec lui, de chaque caresse, de chaque regard… Pouvoir être avec lui, le surveiller, le gâter, le cajoler et m’assurer de son confort et de son état me prouve encore une fois que rien n’arrive pour rien. Ma décision de prendre du temps pour moi se transforme en temps pour nous.

Avec ce changement de rythme et de réalité quotidienne viendra immanquablement un changement de ton. Je n’aurai plus autant d’anecdotes de métro ou de montées de lait contre le transport collectif déficient et c’est tant mieux. J’espère vous inspirer à prendre votre temps, ne serait-ce que quelques minutes par jour pour vous et pour personne d’autre. On passe notre vie à travailler et à courir sans trop se souvenir pourquoi on le fait. Pour la paie, oui je sais, mais outre cela, on ne se demande même plus si c’est ce que l’on veut réellement. Et c’est franchement triste de savoir qu’une majorité de gens dans la société ne font ce qu’ils font que pour un chèque au bout de la ligne.

Je demeure persuadée qu’il est possible de trouver un meilleur équilibre en tant que société et que collectivement, on est en mesure de faire changer les choses, pour le mieux. Car ça sert aussi à ça prendre son temps… Pour voir le monde, autrement.

Photo : Unsplash | Clem Onojeghuo