Causer pour la cause, concrètement

Cristian Newman

Nous y sommes, en cette fameuse journée où Bell cause pour la cause. L’entreprise versera, à coup de 5 sous accumulés grâce à vous, de l’aide financière à des organismes qui luttent pour aider les gens atteints de maladie mentale et leurs proches. Et c’est très noble de vouloir aider ainsi, très important quand on sait que les coupures font mal depuis des années en santé.

Mais j’ai comme un petit bémol dans cette belle harmonie (je sais, je suis un peu grinch des fois…) On donne des fonds à des organismes qui compensent pour un manque flagrant de support dans notre système officiel de santé. Et en lisant la chronique de Patrick Lagacé ce matin, je n’ai pu que m’insurger de constater à quel point on est à des années lumières d’un contexte sain dans la majorité des entreprises.

On le sait, la dépression et le burn-out font des ravages depuis plusieurs années et on peine à comprendre pourquoi. Mais quand on prend du recul et que l’on observe les coupures de personnel dans à peu près toutes les industries, avec la même charge de travail globale au bout du compte, on n’a pas besoin d’avoir un doctorat en la matière pour comprendre que les travailleurs sont surchargés et à bout.

On siphonne l’énergie de ceux qui restent, les menaçant de subir le même sort que ceux qui ont été écartés, on les traite comme des robots, dans une ambiance nocive et angoissante, et après on se demande pourquoi ils vont s’échouer dans le bureau d’un médecin avec un formulaire d’assurance entre leurs mains tremblantes.

Je ne suis pas gênée de dire que je suis passée par là, que j’ai frappé le mur à plus d’une reprise et que je disais bien sûr que moi, ça ne pouvait pas m’arriver. Parce que dans notre société, on juge ceux qui s’effondrent tout d’un coup, ceux qui figent dans le mouvement perpétuel. Un arrêt de travail, à moins d’un fauteuil roulant à l’appui, c’est vu comme une faiblesse. Soyons honnête pour une fois.

Avant, le travail était majoritairement manuel alors quelqu’un qui ne pouvait plus travailler avait des marques physiques évidentes de la raison de cette pause. Et bien souvent, il tentait d’en faire un peu quand même. Car il n’était pas épuisé moralement, seulement incommodé dans sa motricité. Mais le mal de l’âme lui, est plus sournois, n’est pas palpable et difficile à imaginer si on n’est pas passé par là.

Quand on a toujours eu une énergie de fer et qu’on fait partie des chanceux qui ne sont pas tombés sur une entreprise qui presse le citron impunément, on peut avoir de la misère à comprendre ce que c’est que de ne même pas avoir envie de sortir de son lit, de ne pas vouloir bouger, manger ou se laver. Mais c’est malheureusement la réalité de beaucoup trop de gens de nos jours. Et ce n’est pas à grand coup d’anxiolytiques qu’on règlera ce mal du siècle.

L’accès à la psychothérapie dans le public n’a jamais été aussi mince et, à 80$ la séance, ce n’est pas tout le monde qui peut se payer le privé. On m’a longtemps demandé pourquoi je n’avais pas mis plus d’argent dans mes RÉER et j’ai souvent répondu que j’avais investi dans mon âme avant de mettre des sous de côté pour ma retraite. Je préfère vivre plus pauvre mes vieux jours en ayant la paix d’esprit que d’être plus fortunée mais tourmentée.

Alors, oui, aujourd’hui, textez, appelez, twittez, snapchattez et abusez du mot clic #BellCause. Mais attardez-vous aussi et surtout à vos proches, à vos collègues et prenez le temps de comprendre leur réalité. Le vrai visage de la santé mentale, il a l’air de monsieur et madame tout-le-monde. Et on doit s’en occuper, collectivement. Pas le fuir, pas le juger, pas le rejeter. On doit l’aimer, sincèrement.

 

Photo : Unsplash | Cristian Newman