Le silence n’est pas une option

Kristina Flour

Ce matin, j’ai été complètement outrée de lire les articles concernant l’affaire Rozon. Le DPCP a rejeté du revers de la main plusieurs plaintes pour diverses raisons. Ces femmes, qui ont eu le courage de sortir de leur silence, de dénoncer, de se lever debout et de tenir tête à un homme abject se font dire qu’elles n’auront pas accès à la tribune légale au criminel pour obtenir justice. Et ça me dégoûte, ça me répugne.

Parce que ça revient encore à dire que l’argent achète tout, que le pouvoir est difficilement ébranlable et que les femmes ne sont toujours pas prises au sérieux. Ça me jette à terre de constater qu’encore aujourd’hui, après la vague du #metoo, après les dénonciations, les manifestations, les rassemblements et les beaux discours, on n’a pas avancé d’un iota du point de vue de la loi.

Alors si vous subissez une agression aujourd’hui, serez-vous tentée de dénoncer, de porter plainte, de subir les multiples interrogatoires où vous répéterez dans cesse votre histoire au point que vous en serez mêlée vous-même? Selon moi, une victime de décembre 2018 se taira après avoir constaté que même l’évidence de l’affaire Rozon n’a pas suffi à ébranler le système actuel.

J’ai moi-même dû subir une dizaine d’événements dans ma vie qui auraient pu mener à une plainte. De la violence aux comportements irrespectueux d’ordre sexuel, j’en ai vu, j’en ai vécu et je connais très peu de femmes de mon entourage qui n’ont jamais subi cela. Sans qu’on parle d’une soirée d’horreur après une date douteuse, au quotidien, on peut facilement être victime d’agression. Dans le métro, au bureau, dans un bar, ou peu importe où, on doit demeurer vigilantes.

Je parle au féminin mais je connais suffisamment d’hommes qui ont eu aussi vécu de telles histoires pour dire que tout humain est à risque. Et tout ça, ce n’est pas normal, ce n’est pas acceptable. Certains diront peut-être que les dénonciations médiatiques constituent une forme de règlement de compte, que la vie de ces agresseurs connus ne sera plus jamais la même. Mais entre avoir un dossier criminel et simplement se faire regarder de travers, il y a tout un monde.

Je n’accepte pas la décision du DPCP et je n’ose imaginer le coup de poignard que cette nouvelle a pu être pour les victimes qui, les unes après les autres, ont dû rencontrer le procureur en charge du dossier cette semaine. À lire les réactions dans la presse ce matin, on comprend que la délicatesse n’est pas non plus la grande force de cette entité judiciaire qu’est le DPCP.

On parlait avant des policiers qui minimisaient les plaintes des victimes mais on constate aujourd’hui que c’est tout l’appareil qui est à revoir, à moderniser. Espérons que le procès au civil, intenté par le collectif Les courageuses, portera fruit pour au moins apporter un baume à ces battantes qui tentent d’obtenir justice.

Ce mercredi 12 décembre en est un sombre pour la justice et l’égalité. Être une femme aujourd’hui, ce n’est pas encore être traitée également et justement. Et c’est ça, au fond, qui m’horripile. Quand je pense à ma nièce et aux enfants qui m’entourent, j’ai mal de savoir que si un tel événement leur arrive, on n’aura pas su leur offrir une option juste et équitable pour se défendre, pour retrouver un peu de foi en l’humanité.

J’ai honte pour ces femmes qui ont osé se lever et qui croyaient qu’on pourrait enfin mettre un terme à ce cercle vicieux de la culpabilisation de la victime. L’intégrité physique et mentale d’un humain, quand elle est bafouée, doit faire l’objet d’un examen consciencieux et juste. Cessons d’avoir peur, d’être frileux devant les changements de loi et démontrons que nous sommes solidaires à ces victimes qui viennent de recevoir une claque en plein visage, une fois de plus.

On leur a dit qu’on ne voulait pas les écouter. Mais il est trop tard pour cela. On ne peut plus se taire.

Photo : Unsplash | Kristina Flour

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