Savoir apprécier

Giorgio Encinas

À notre époque, nous avons accès à plus d’informations que jamais. On peut parler avec des gens de partout dans le monde, rencontrer une ou plusieurs personnes nouvelles à chaque jour, changer de métier, apprendre et partager presque sans limite. Mais est-ce que cela fait de nous de meilleures personnes? Je veux dire… Est-ce qu’on en profite pleinement ou si cela ne devient-il pas un tourbillon abrutissant qui nous empêcher de nous centrer?

Comme dans tout, il y a un juste équilibre, une balance qui doit se faire entre le trop et le pas assez. Je lisais la chronique de Hugo Dumas dans la Presse+ ce matin qui partageait sa tendance à vérifier les faits d’une série télé en mettant sur pause un épisode. Déjà, le fait d’avoir une offre télévisuelle aussi large et diversifiée (incluant celle sur le Web) peut créer un étourdissement. Mais si en plus on se met à tout décortiquer au lieu de se laisser porter par ce qui devrait demeurer un divertissement, il me semble qu’on perd l’essence même de la chose, non?

En fait, on peut tellement se bourrer le crâne d’informations que je m’interroge si ce n’est pas devenue la nouvelle drogue légale. Car, jamais on ne vous arrêtera pour abus d’Internet (sauf si vous ne payez pas votre compte et encore on va simplement vous couper). Donc quiconque vit de l’anxiété peut la nourrir et l’enfouir sous une multitude de données, de contacts et d’opportunités virtuelles.

Je sais, j’ai moi-même utilisé ce subterfuge pour fuir mes angoisses par le passé. Pas une offre d’emploi ou une maison à vendre ne passaient les mailles de mon filet virtuel. Je scrutais tout. Pourquoi? La peur de manquer quelque chose, probablement. Mais ce qui est paradoxal, c’est qu’à force de forer le Web, je passais à côté de ma vie, la vraie. Vous savez, celle avec des humains, de l’air frais, des sons et des couleurs réelles? Pas celles filtrées à travers un écran, aussi réaliste puisse-t-il être…

L’autre phénomène que je constate est qu’il devient difficile de se satisfaire ou d’apprécier car on est conscient qu’il y a un monde d’autres possibilités. Il suffit de voir le comportement des gens sur les applications de rencontre pour comprendre. Il y a un match, un échange et peut-être même une rencontre. Mais pendant ce temps, le défilement de candidat se poursuit. Tsé, juste au cas où il y aurait encore mieux…

Mais ce qui se passe en réalité, c’est qu’on ne peut pas se concentrer pleinement sur la personne si notre esprit continue de scruter les autres poissons dans la mer. Ce serait comme parler à quelqu’un mais écouter toutes les conversations autour en même temps. On finirait par perdre le fil… Alors comment se fait-il que cela se passe ainsi pour le dating? Tout le monde le sait mais tout le monde le fait…

Donc, toutes ces possibilités qui nous sont offertes ne deviennent-elles pas comme un surplus inutile, comme tous ces objets qu’on peut accumuler dans nos maisons vainement? Est-ce un sentiment rassurant de savoir qu’on a tout cela à portée de main (ou de clic plutôt)? Ne vaut-il pas mieux préconiser la qualité des relations que la quantité?

Au bout du compte, est-on encore en mesure d’apprécier notre vie ou passe-t-on trop de temps à imaginer ce qu’elle pourrait être si on avait ceci, ressemblait à cela ou rencontrait telle personne? À force de chercher, se perd-on sans arrêt au lieu de simplement être là, dans le présent en acceptant qui nous sommes?

Photo : Unsplash | Giorgio Encinas

Related Posts

Pierre BEST C’est beau, un corps. Point. 17 avril 2019
James Sutton S’ouvrir aux autres 13 juin 2017