Vive les moches!

Sonja Langford

Aujourd’hui, je travaille de la maison… Confortablement installée dans mon bureau, avec vue sur le parc. Les oiseaux chantent en fond sonore, la cloche de l’école primaire du coin retentira dans peu de temps. C’est ce que je considère comme un excellent début de journée. La grisaille ne m’atteint pas, la pluie qui s’amènera dans quelques heures viendra nettoyer, fera fondre la neige et, à mes yeux, est implicite au printemps, signe que la terre, après sa dormance, a besoin de se gorger d’eau pour faire face à la canicule qui, mine de rien, frappera à notre porte en juillet.

On peut décider de maugréer contre ce temps tristounet, de pester contre ces nuages épais et emplis d’eau qui feront danser la pluie toute la journée. Mais, pourquoi s’en faire avec la nature qui tente de s’équilibrer alors qu’on la maltraite toute l’année? Après un hiver en dents de scie qui nous met en plein visage l’impact de notre vie de surconsommation et de pollution, laissons donc mère nature reprendre son rythme.

De nos jours, la perfection semble être un but ultime. On voudrait que tout soit parfait, calculé et minutieusement placé dans le décor de nos vies. Un fil qui dépasse, des cheveux en bataille, un conducteur qui cherche son chemin devant nous et on s’emporte… Pour un rien qui sort du lot, on explose, on réagit, on bougonne… J’ai parfois l’impression que nous sommes un peuple à vif, réactif au quart de tour. Je ne sais pas si ce sont les manifestations des dernières années, les coupures à tout vent dans la santé et l’éducation ou le stress d’une vie qu’on peine à suivre mais je nous trouve intense.

À force de trop vouloir cadrer dans un moule sociétal né d’on ne sait trop où, on étouffe dans nos propres vies. On veut la ville et la campagne, l’argent et le temps, l’amour et l’autonomie… Des fois je me demande si on est pas juste trop gâté par la vie! Comment fait-on pour se plaindre autant alors qu’aucune bombe ne nous frôle, qu’aucune famine ne nous gagne et qu’aucun ouragan ne menace de détruire nos maisons?

Même nos légumes, on les voudrait parfaits! Quand je pense à cette entreprise qui a pris l’initiative de récupérer ceux qui avaient eu un voyage plus difficile pour en faire des sauces, des soupes et autres mélanges. Et ce site internet qui permet d’acheter des fruits et légumes aux défauts esthétiques afin d’économiser et d’éviter le gaspillage… Savez-vous qu’environ 20% des fruits et légumes cultivés ici sont jetés faute de pouvoir être mis en présentoir à l’épicerie? Heureusement, des organismes ont compris que la beauté du légume n’a aucun impact sur son goût. Et quand on pense que beaucoup de gens n’arrivent pas à se nourrir convenablement faute de budget adéquat, on se demande bien pourquoi on enverrait aux vidanges une carotte à 3 pattes ou une pomme faite sur le long!

Soyons conséquents, soyons ouverts et prenons un pas de recul. La recherche de la perfection ne fait qu’ajouter stress, anxiété et fatigue dans notre société, en plus de coûter très cher quand on parle d’alimentation. Pour notre assiette comme pour notre âme, abaissons les critères et nourrissons-nous de ce que la nature nous offre. Soyons créatifs, acceptons ce qui est, tout simplement. Parce que ça fait tellement du bien d’arrêter d’essayer d’être ceci ou cela et de plutôt être qui nous sommes. Soyons moches nous aussi!

 

Photo : Unsplash | Sonja Langford