L’anticipation ou l’art de se polluer la vie

Alex Jodoin

Depuis plusieurs semaines déjà, j’ai stagné, je suis à un niveau stable, mon rythme à la course s’est figé. À la base, je ne suis pas une grande performeuse et je ne vise pas de marathon donc ça n’a pas tant d’importance et loin de moi l’idée de polluer mon blogue de récit de course en détail ou de partage de score à tout prix. Ce qui se cache derrière ce billet matinal, c’est une prise de conscience, un apprentissage…

Alors comme je le disais, je ne progresse pas mais ne régresse pas non plus. Ce qui en soit est quand même satisfaisant puisque ça ne fait pas des lustres que je me suis mise sérieusement à la course à pied. Mais voilà, je me suis fixée un objectif : faire le 10 km de Lorraine en moins d’une heure. Ce n’est pas une visée irréaliste ni impossible mais quand on est à 10 minutes de l’atteindre, c’est déroutant.

Vendredi matin, je rencontrais mon entraîneuse et je lui ai fait part de mes inquiétudes, en toute humilité. Et, bien sûr, elle m’a ramené sur terre : il te reste trois mois, calme-toi. Et quand elle me l’a dit, dans ma tête, je me suis dit : écoute-la et ne pense pas. Car voyez-vous, mon plus grand problème, c’est que je pense trop.

Je suis analyste de métier, donc ma job à moi, c’est de décortiquer, de trouver les failles, d’élaborer des hypothèses, d’identifier des solutions possibles et de tenter de planifier le futur… Je n’ai pas besoin de vous dire que dans ma vie de tous les jours, ça peut devenir parfois lourd et je tente toujours de mettre de côté ces réflexes pour vivre tout simplement. Mais ce n’est pas toujours évident et parfois, je ne me rends même pas compte que mon hamster mental se fait aller les petites pattes dans sa roue.

Alors voilà : j’anticipe.

Beaucoup.

Trop.

C’est dit.

Et j’en parle parce que je sais que nous sommes plusieurs dans cette situation, pour la course ou pour tout autre objectif personnel qui requiert des efforts et s’échelonne sur une certaine période. On voudrait tellement que tout arrive tout de suite, comme par magie. Cette ère de l’instantanéité nous a forgé l’esprit à réclamer dans l’immédiat, à s’attendre à tout avoir maintenant. On a de la difficulté à se projeter dans le futur tout comme on a de la misère à vivre dans le moment présent. Et quand je dis « on », ça inclut en premier lieu la personne qui parle.

J’œuvre dans le domaine du numérique où tout est intangible, rapide, changeant, où rien n’est acquis et peut disparaître à tout moment. On dirait qu’avec le temps, j’en suis venue à me déconnecter de ma vraie vie. Et la course fait le chemin inverse, elle me ramène dans l’ici et maintenant, dans mon corps, dans le rapport au temps et à l’espace.

Avouons-le, le dernier kilomètre, quand on court, peut nous paraître terriblement long. La chaleur et le froid sont eux aussi perçus différemment quand on est dans l’exercice de la course. Mais ce qu’il y a de magnifique, c’est qu’on a le temps de savourer la beauté d’un arbre, le chant des oiseaux, les rayons du soleil qui percent les nuages, les enfants qui jouent et la vie qui passe, lentement.

Ce matin, peu après 6 h, à bord de mon véhicule, j’ai pris le temps d’admirer le soleil qui se levait, dans un ciel teinté de rose et de jaune, de manière spectaculaire. Et je me suis dit qu’il faut réellement que j’apprenne à me satisfaire de ces petits moments de vie et que je cesse de me polluer l’existence avec l’anticipation.

Car s’il y a une chose de sûre, c’est qu’on ne peut pas prendre demain pour acquis, on n’a aucune idée de ce que la vie nous réserve et que finalement, seul le moment présent est une certitude.

Peu importe le temps que je prendrai pour faire mon 10 km en mai, l’important est plutôt le parcours qui m’aura permis de m’y rendre, les efforts que j’y aurai mis et le bien-être que cela m’aura apporté. Comme on le dit souvent : le chemin est plus important que la destination!

 

Photo : Unsplash | Alex Jodoin

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