L’art de ralentir

Erwan Hesry

Ce matin, c’est un petit vendredi gris. Vous me direz que ça fait des semaines qu’on vit dans le brouillard et qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil (désolée, elle était trop facile). Mais ce matin, je ne sais pas pourquoi, j’avais vraiment envie de déjeuner sur ma terrasse, de me faire réchauffer par les rayons et d’admirer la nature prendre ses aises dans le parc derrière chez-moi. Il y a de ces matins où mon corps démarre plus lentement, où j’ai envie d’être lente et de prendre mon temps.

Prendre son temps aujourd’hui, c’est presque devenu une maladie. Tout va si vite, on a des tonnes de choses à faire sur nos listes et on est constamment sollicité, question d’ajouter sur la liste de nouvelles choses à essayer. Parfois, j’ai l’impression d’être usée à la simple idée de tout cet engagement, de toutes ces tâches à accomplir. Vouloir voyager, être en forme, cuisiner, travailler, s’accomplir, voir ses amis et sa famille, faire des activités, se réaliser, se reposer mais pas trop, s’amuser, juste assez…

Pourtant, la seule certitude, et sans vouloir être défaitiste, c’est que notre vie finira un jour. On ne sait juste pas quand… Alors au lieu de vouloir tout faire, j’ai envie de me concentrer sur l’essentiel, sur ce qui me fait réellement plaisir, ce qui me comble de bonheur. On a tous des obligations mais j’ai l’impression qu’on s’ajoute une pression immense sur les épaules, pour suivre la masse, pour cadrer dans le moule.

J’ai rencontré quelques personnes qui, rendues à un certain âge, m’ont avoué avoir dépensé trop d’énergie et de temps à des relations futiles, à faire des choses qui ne leur ont pas apporté de paix ou de bonheur. Ces gens regrettaient d’avoir continué à accorder de l’importance à ce qui ne comptait pas, simplement par paresse, par peur du changement ou par peur de blesser des gens.

Toutefois, bien souvent, ce qu’on croit n’est pas la réalité et ce qui nous parait une montagne est en fait simple à corriger. Endurer des relations qui nous siphonnent notre énergie ou un travail qui nous use, ça revient à ne pas s’écouter. Car bien souvent, au fond de soi, on le sait que ce n’est pas pour nous. Mais on perdure, peu importe la raison.

Pendant quelques années, j’ai enduré une relation professionnelle qui me détruisait pour quelques parcelles de reconnaissance, parce qu’à cette époque je ne comprenais pas que je souffrais. Et aujourd’hui, sans regretter ces années, car je comprends que ça a aussi forgé qui je suis maintenant, je sais ce que je ne veux plus. Je ne répète plus cette situation. Au fond de moi, il y a un petit système d’alerte qui s’enclenche quand je m’approche de ce genre de personne toxique. La vie est bien faite, elle nous livre les épreuves que nous sommes en mesure de traverser et celles qui nous apprendront à devenir meilleure.

À travers les années qui ont suivi, j’ai donc appris à m’écouter, à prendre soin de moi et à m’arrêter quand le besoin se faisait sentir. Ce n’est pas toujours évident et parfois, j’ai des petits relents de performance qui refont surface mais là aussi, je me reconnais. La capacité à prendre du recul est une des plus belles facultés à développer avec le temps.

Malgré la longue liste de choses à faire, de lieux à visiter, de gens à rencontrer, je m’accorde des pauses, des retraites, des moments pour moi. C’est ce qui me permet de garder le cap le reste de l’année, d’avoir l’énergie pour affronter les nouvelles épreuves que la vie sème sur ma route. Et c’est ce qui me permet d’être à l’écoute, de moi, mais aussi de mes proches. Car il est impossible de s’ouvrir aux autres et de les accompagner si on a soi-même un genou à terre.

 

Photo : Unsplash | Erwan Hesry