La réalité qui frappe

Joshua K. Jackson

Petit matin figé dans la glace, on se sent un peu coincé. Mon réveil s’est fait au son des grattoirs qui tentaient de percer la couche épaisse de verglas accumulé sur les voitures. Je préfère cela au chant des déneigeuses, c’est un peu plus subtil, à peine. En sortant de mes rêves, je n’ai pu m’empêcher de me dire : déjà lundi.

C’est que la vie passe vite, les journées s’égrènent à une allure folle, les semaines s’enchaînent sans que je n’aie le temps de les savourer. C’est la frénésie du début d’année, c’est toujours ainsi. Les projets trouvent leur vitesse de croisière, on veut boucler le tout dans les temps alors on y va à fond, pour éviter tout retard, pour se garder une marge de manœuvre.

Et, ce samedi, armée de mon élan et de mon entêtement, je suis allée courir. J’avais une longue sortie au programme et j’étais bien convaincue d’y arriver. Mais la vie, parfois, elle en décide autrement, elle nous met des bâtons dans les roues (ou dans les jambes, dans ce cas-ci). Je ne sais pas ce qu’il y avait dans l’air, si ma ville recevait une flopée de visiteurs temporaires venus zieuter les maisons à vendre ou si c’est simplement dans l’air du temps, mais j’ai évité de justesse 3 accidents.

Voir quelqu’un qui consacre clairement son attention à son cellulaire plutôt qu’à la route (et les gens) qui se présente devant lui, dans une ville calme où la vitesse est limitée à 30 km/h et qui a volontairement choisi d’exclure les commerces pour n’accueillir que 2 écoles sur son territoire interne, c’est assez frustrant. Heureusement, une bonne étoile me suivait car ce jeune homme concentré sur son appareil n’avait ni vu la coureuse sur la piste cyclable bordant la rue mais ni, non plus, le policier stationné de l’autre côté. Beaucoup de dollars en moins dans son compte de banque pour la Saint-Valentin je crois…

Comme m’ont dit certaines personnes, ma sécurité passe avant mon entraînement. Et, cet hiver, avec tout ce froid, ce verglas, cette neige et ces températures extrêmes qui font rager l’équipe des services municipaux, je n’ai d’autre choix que de m’adapter. Disons que ça travaille ma patience et ma créativité pour compenser et de pas perdre ma motivation.

Mais en lisant l’histoire de Samuel Archibald dans La Presse+ ce samedi, j’ai vécu le cas classique du « quand on se compare, on se console ». Son récit poignant et désolant révèle à quel point notre vie est formatée et doit entrer dans les cases du système, sans quoi, on est puni, pénalisé, mis de côté. Je vous invite à lire son cri du cœur pour en comprendre toute la profondeur et la souffrance qui en émane. Et, si le cœur vous en dit, Patrick Lagacé y consacre sa chronique aujourd’hui.

Je trouve cela très pénible de constater qu’on doit constamment se battre pour être respecté, obtenir son dû, demeurer en sécurité et recevoir les services pour lesquels on paie pendant des années. Que ce soit au niveau de la santé, de l’éducation ou de l’économie, qu’on parle de services privés ou publics, il me semble qu’on est mode de combat perpétuel, toujours à l’affût du dernier abus, de la dernière tentative de subversion.

À force de nous pousser à bout, les compagnies, les gouvernements, les concitoyens finiront par nous faire exploser. Et ce ne sera pas beau… J’en connais déjà quelques-uns qui ont choisi de sortir du système, des autosuffisants qui en ont eu marre d’avoir l’impression de devoir quêter leur part du gâteau. Le capitalisme les usait et ils ont décidé de se choisir.

Je pense à ce cher Samuel qui, malgré son état mental affecté, a trouvé la force d’écrire ce témoignage. Mais je pense aussi à tous ceux qui n’ont pas le talent de cet auteur pour crier leur désarroi. Qu’arrive-t-il quand on n’a ni les moyens de se battre, ni les moyens de se faire entendre? Il en découle des drames humains sans nom, qui se déroulent dans l’anonymat le plus crasse. Et ça, dans notre monde au visage parfait, ça fait tache et on préfère ne pas le voir. Mais ça existe, réellement.

Alors, après le « Bell cause pour la cause », est-ce qu’on peut vraiment en causer, pour vrai?

 

Photo : Unsplash | Joshua K. Jackson

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