J’atterris encore tranquillement dans ma vie, dans ma routine, dans mon environnement habituel. Je suis de retour depuis jeudi sur le sol canadien mais mon âme flotte encore en zone espagnole. Mon cœur est déchiré entre deux continents. Et je ne fais rien pour le presser de revenir à bon port.
J’ai connecté avec les arbres, les forêts et toutes les beautés du chemin. J’ai fait de belles rencontres, de toutes origines et de styles variés. Mais c’est cette rencontre avec moi-même qui restera gravée en moi. Aucun grand émoi, aucun déchirement ni illumination ne m’est arrivé mais je sais qu’il existe en moi cette joie d’avoir poussé mes limites, dans tous les sens du terme.
Quand on part dans un périple de ce type, quand on décide d’aller marcher 322 kilomètres, en montées, en descentes, sous la chaleur ou dans un épais brouillard, on sait qu’on aura des moments de grâce mais aussi des moments difficiles. Je me sens bénie des dieux de ne pas avoir souffert d’ampoules sévères ni de blessures quelconques. Mon corps a tenu le coup et m’a offert le meilleur de lui-même. Je suis empreinte de gratitude envers ce partenaire de marche infaillible.
Je partais sans trop d’attentes (on apprend du passé), je n’ai donc pas vécu de grandes déceptions ou de surprises déconcertantes. Et, comme à chaque retour de vacances, je me sens prise dans un flottement, un désir de faire durer encore le plaisir, le plus longtemps possible. Le décalage horaire m’a obligé à rester tranquille mais je n’aurais pas eu envie, de toute façon, de me précipiter.
La lenteur et l’enracinement sont les deux mots qui séjournent dans mon esprit depuis mon retour. J’ai pourtant marché relativement vite, vidé mes batteries à chaque jour sur la route pour ressentir un vide à remplir, pour faire de l’espace dans ma tête qui pense trop. Mais c’est ce qui m’a permis de recevoir toute l’énergie des forêts enchantées que j’ai traversé. C’est ce qui m’a amené à rire et à sourire devant toutes les beautés et les subtilités qui ont croisé ma route.
Pendant des jours, j’ai suivi les flèches qui mènent à Santiago de Compostela. Aucun stress, aucune inquiétude, aucune responsabilité autre que de prendre soin de moi, d’être à l’écoute de mon corps et d’ouvrir mon esprit à ce qui m’entourait. On peut rarement se permettre d’être aussi libre, aussi centré sur ce qu’on vit et ressent, sur soi. Rien d’égoïste ici, et parler d’être centré sur soi peut être interprété négativement.
Mais j’ai réalisé que pour offrir le meilleur de soi, pour vivre sereinement, pour s’accomplir et apprécier sa vie, on doit s’écouter, s’aider, s’aimer et se donner à soi avant de donner aux autres. S’accepter comme on est, l’assumer et faire fi du jugement d’autrui, ça demande avant tout d’être en contact avec soi. Et c’est ce que ce chemin m’a permis.
Je reprends tranquillement le cours des choses mais en sachant qu’une brèche s’est ouverte en moi. Une ouverture vers l’aventure, vers la découverte. Une parcelle de moi que j’avais mise de côté et qui ne demande qu’à être nourrie de nouveau. Cette aptitude à partir, à sortir de ma zone de confort pour m’ouvrir au monde, à mon rythme.
C’est le début de quelque chose, le début d’une phase de vie. Je le sens, je le sais. Nul besoin d’en définir tous les contours, j’ai simplement envie de me laisser porter, comme je l’ai fait avec les fameuses flèches jaunes qui ont jalonné ma route en Espagne. Suivre… Ce verbe ne fait pas partie de mes habitudes d’ailleurs. Mais j’y prends goût et je découvre à quel point ça fait du bien de prendre le temps d’être libre.