La maladie du siècle

Sara Kurfeß

On n’a jamais eu autant de possibilités devant nous, ni jamais autant de technologies pour nous aider, d’accès à l’information aussi rapidement ou d’opportunités, autant professionnelles que personnelles. Mais malgré tout, on est angoissés, stressés devant tant de choix. Pourquoi? Parce que justement, c’est peut-être trop…

En 2019, ne pas être au courant de quelque chose est presque synonyme de retard mental. Hein? Tu n’as pas vu passer la nouvelle X sur Facebook? Quoi, tu n’as pas encore vu la vidéo de Y? Ben voyons, vivais-tu sous une roche? Oui, oui, j’exagère, à peine, mais ce n’est pas loin de la réaction à laquelle j’assiste parfois en révélant ne pas passer ma vie à scruter tout ce qui se publie dedans les Internet.

Avec ce flot incessant d’information libérée comme du pollen, on finit par être saturé, enseveli sous une tonne de données plus ou moins pertinentes et cohérentes. On ne vérifie plus la source, on ne sait plus sur qui se fier, on relaie sans se préoccuper de la véracité de la chose. Et bonjour les fake news! Mais comme on ne veut pas rater la dernière sortie, on va vite, on tourne les coins ronds et on se dit que si telle personne l’a partagée, ça doit être vrai.

Des fois, je fantasme sur un monde sans Internet, revenir à l’essentiel, où la seule connexion possible est celle avec l’humain. C’est assez paradoxal pour une personne qui travaille dans le numérique me direz-vous mais c’est ça pareil. Et hier, étrangement, une panne majeure a affecté le groupe Facebook entraînant Instagram dans son sillage. Et c’était comme se retrouver dans le bois tout à coup : silence et calme étaient au rendez-vous.

Ce qui m’a toutefois interpellé, c’est cette panique, ce sentiment de manque, de sevrage qu’on ressentit les utilisateurs. Je veux bien croire qu’un gestionnaire de communauté au calendrier de contenu bien chargé ait pu être désemparé devant ce retard provoqué mais pour le commun des mortels, il me semble que c’était un soulagement, un mal nécessaire. Une petite expérience de vie pour faire prendre conscience de la place beaucoup trop dominante accordée à tout ce monde virtuel.

Quoi? Tu n’as pas pu visionner la 858e vidéo de chat ou la petite animation drôle de monsieur X? Malheur! Ta vie sera à tout jamais changée… Bien sûr, je suis sarcastique au cube parce qu’il faut rire de tout cela avant d’en pleurer. C’est triste de constater le sentiment de dépendance généralisée envers les réseaux sociaux. L’angoisse qui régnait hier devant l’écran vide frôlait l’hystérie pour certains. Impression d’être coupé du monde, de passer à côté de quelque chose… C’est ce que je lisais et entendais. Et j’avais juste envie de leur dire : mais ouvrez la porte et sortez dehors si vous voulez voir ce qui se passe! Lisez les nouvelles (les vraies), écoutez la radio. Ou mieux : ne faites rien, savourez le silence et la paix.

C’est devenu le mal du siècle cette anxiété sournoise de ne pas tout savoir, tout voir, avoir accès à tout. Au nombre de clinique de sevrage numérique qui ouvrent, on se doute que quelque chose cloche. Mais je vous parie que la personne qui débarque là a trouvé l’adresse via son téléphone intelligent, bien serré dans sa main, de peur de l’échapper. Les gens apportent leur appareil aux toilettes et s’en servent comme cadran. J’en vois même se vantant de répondre sous la douche. Mais qu’est-ce qui nous prend? C’est du 24/7 ce truc et c’est malsain! Bientôt, on pourra se le faire greffer, j’en suis convaincue.

Bref, cet incident qui frappe Facebook actuellement sert de signal d’alarme selon moi. Un moyen de nous faire comprendre qu’on doit se détacher un peu, revoir notre relation à cet appareil, à ces réseaux vicieux. Ramenons cela à un outil, pas une aliénation. Tout le monde s’en portera mieux… Le printemps s’installe tranquillement alors profitons de ce changement d’air pour laisser l’appareil loin de nous (au moins un mètre) et reconnectons avec le vrai monde. Levons le nez et admirons la vie qui reprendra ses aises : les bourgeons qui vont éclater, les reflets du soleil et les beaux sourires qui illumineront les visages. Rien au monde ne devrait nous priver d’un tel plaisir.

Photo : Unsplash | Sara Kurfeß