Sortir du jugement

Maura Silva

Hier soir, je me dépêchais pour me faire une pédicure car je savais que je voulais porter des souliers ouverts aujourd’hui. Vous me direz sans doute qu’il s’agit d’un problème futile et totalement superficiel et vous auriez surement raison. Et c’est d’ailleurs ce qui m’a traversé l’esprit alors que je devais retarder mon heure de dodo parce que le vernis n’était pas sec.

Je ris à l’idée même d’introduire mon billet de cette façon, moi qui n’est pas la plus girly de mon entourage. J’ai longtemps vécu ma vie sans pédicure ni manucure d’ailleurs. Surtout si je me compare à plusieurs femmes de mon entourage. Mais j’ai compris il y a bien longtemps qu’on a chacun notre niveau de confort avec le « naturel » ou la version bonifiée de notre être.

Néanmoins, je sais aussi que le jugement vient vite, peu importe ce qu’on porte ou à quel point on s’entretient. Celles qui en font le minimum se feront qualifier de « grano » alors que celles qui beurrent épais se font traiter de nunuche ou de poupée. Comme si on se définissait par notre enveloppe extérieure, comme si cette image que l’on traîne déterminait la grandeur de notre âme et la profondeur de notre esprit.

Pourtant, entre l’apparence et la personne, il y a souvent tout un monde. Qui n’a pas déjà connu une personne très timide et effacée qui s’avérait être une véritable sommité dans son domaine? Je me souviendrai toujours d’anciens collègues de travail qui s’amusaient ensemble la fin de semaine à sortir de leur carcan et partaient à l’aventure ensemble, devenus d’authentiques experts en mycologie. Il n’y avait pas plus pros qu’eux pour départager les différents champignons qui vivaient dans les forêts avoisinantes. Et pourtant, dans leurs habits « de semaine », personne ne les aurait soupçonnés d’être de tels chevronnés.

Je fais tout un détour pour exprimer ce malaise face au jugement quasi permanent que l’on pose, souvent sans même s’en rendre compte. J’ai réalisé à quel point c’est devenu viral et implicite, que dès que quelqu’un se pointe devant nous, notre cerveau scanne et interprète ce qu’il voit, selon nos croyances, expériences passées et impressions durement enracinées en nous. Et il est difficile et ardu de modifier sa perception, de changer sa façon de voir les autres.

Le jugement vient souvent comme un réflexe de protection, encore plus quand on n’a pas confiance en nous. L’autre peut apparaître comme une menace ou venir brasser nos convictions. On se braque, on s’insurge, on se repositionne, et ce, tant de fois dans une vie. Mais, à force d’avancer, on finit par comprendre que tous ont droit à leur style, à leur choix et que rien ne nous permet de les juger. Comme je le dis souvent, on est tous le bouc émissaire de quelqu’un. Comme si on donnait une raison de chialer à une autre personne. Et si ça peut lui faire du bien, alors tant mieux.

Mais je suis un peu lasse de cette tendance, exacerbée par les réseaux sociaux, à vomir son fiel sur le premier venu, par simple plaisir de pouvoir s’exprimer. Plusieurs oublient que la charge peut être blessante, voire destructrice, et laisser des marques indélébiles sur les victimes. Le nombre de messages qu’on peut recevoir qui n’ont aucun but précis, qui ne sont que des attaques gratuites envers autrui, faite souvent par une personne en manque d’attention, d’estime et d’amour.

Et si, au lieu de se blesser, on s’aimait, on se portait une attention adéquate et on allait au-delà de nos barrières mentales, de nos préjugés? Il me semble qu’on gagnerait en légèreté et qu’on dormirait mieux la nuit. Et si on s’acceptait comme on est et que la différence devenait la norme? Ça vous dirait de vivre dans un monde moins amer?

 

Photo : Unsplash | Maura Silva

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