Je me demande parfois si on est encore capable de se laisser surprendre, de lâcher prise complètement et se laisser porter, sans tenter de contrôler ou de tout savoir à l’avance. Je dis cela car avec l’accès constant et permanent à tout du bout des doigts grâce à nos fameux téléphones intelligents, on regarde de moins en moins autour de nous, on trouve l’information en 2 clics, on peut voir des photos et même des vidéos immersifs des endroits que l’on va visiter à l’avance, les clichés des plats du restaurant que l’on prévoit essayer prochainement et des extraits du livre que l’on hésite à acheter.
On dirait qu’on n’est plus capable de faire des essais, de faire confiance à son instinct et se lancer dans le vide, faire une découverte sans aucune référence, ni critique de milliers d’inconnus sur Internet. Même choisir un vin requiert une visite sur quelques sites pour lire les propos de divers connaisseurs et amateurs, en plus de l’histoire du vignoble et le parcours de son propriétaire.
Chaque choix semble teinté de l’opinion des autres, chaque décision nécessite une certaine validation. Je suis presque nostalgique du temps où l’on partait « à l’aveugle », sans GPS ni réelle idée de l’endroit où on allait, pas plus sur ce qu’on trouverait au bout de la route. Prendre le temps de déambuler dans les rues et de se laisser porter par la vie, sans appareil en main semble effrayer la plupart des gens. Il n’y a qu’à regarder le malaise dans le métro des gens seuls qui n’ont rien à lire. Le réflexe de la majorité est de sortir le téléphone, simplement pour concentrer son attention sur quelque chose.
L’art de ne rien faire et d’ouvrir son esprit à ce qui nous entoure se perd. L’art d’essayer sans filet aussi. À quand remonte votre dernière surprise, la dernière fois où vous avez laissé la vie ou votre conjoint vous surprendre? J’ai la triste impression que ça fait longtemps, trop longtemps…
L’angoisse de l’inconnu peut en freiner plusieurs et je le conçois tout à fait. Mais si on parle de petits gestes du quotidien, du choix du café ou d’un produit alimentaire, il y a moyen de sortir de sa zone et de changer ses habitudes. J’aime encore, aujourd’hui, flâner dans une librairie et me laisser séduire par la jaquette d’un livre, tout comme j’aime me laisser guider par une odeur pour mon choix de restaurant.
Je me force parfois à partir sans destination tout simplement pour voir ce que la vie mettra sur ma route. Je débarque à une intersection et je choisis seulement la direction. Le reste est inconnu et imprévisible. C’est très grisant de faire ce genre d’expérience et ça donne souvent de superbes expériences.
À force de vouloir tout planifier, tout maîtriser, tout valider, on finit par aseptiser nos vies au point où l’inconnu fait trop peur pour être envisagé ou effleuré. Et quand j’ai pris conscience de cela, j’ai décidé de renverser la vapeur, sur des petits moments, pour des éléments sans grande importance mais qui me permettent de ne pas m’enliser dans le confort.
Se laisser surprendre par des rencontres, par des saveurs, par des regards et des sourires nouveaux, c’est très rafraîchissant. Des fois, c’est un flop total et ça aussi ça fait du bien. Ça confirme nos choix, ça aide à comprendre ce qui nous convient ou pas, ça définit les limites de nos capacités et désirs.
Alors si, cette fin de semaine, vous laissiez quelques heures de votre vie à la merci du hasard, si vous osiez vous laisser surprendre, ça donnerait quoi, ça vous ferait quoi?
Photo : Unsplash | Justin Luebke