La dérive humaine à l’ère du numérique

Clay Banks

Je me sens clairement déconnectée ce matin quand je lis les nouvelles concernant la tuerie de Toronto. Je n’entrerai ni dans les détails ni dans le jugement concernant cet événement troublant. Ce qui me perturbe, c’est cette mention que l’attaquant échangeait avec d’autres au sujet d’une sous-culture nommée « incels » qui se veut la contraction de l’expression « involuntary celibate » qu’on peut traduire par « involontairement célibataires ».

Je parle souvent de notre imputabilité concernant notre vie, notre destin, notre statut. J’ai fréquemment fait mention qu’on ne peut pas tenir responsable quiconque pour ce qui nous arrive, que nos choix, nos gestes et nos décisions impactent nos vies et qu’il n’en tient qu’à nous de changer ce qui ne convient pas. Mais j’étais loin de me douter que des dizaines de milliers d’hommes, pour la majorité des jeunes entre 18 et 35 ans, se sont regroupés pour dénoncer ce qu’ils jugent louable : tenir les femmes responsables de leur célibat.

Je n’ai pas eu à chercher longtemps pour comprendre de quoi il s’agissait et surtout, pour y lire des propos haineux, dégradants et complètement absurdes sur la situation des femmes dans le monde. J’ai rarement été outrée à ce point en découvrant une philosophie de vie, si on peut qualifier cela ainsi… Je ne veux en aucun cas répandre ce que j’y ai lu car je juge cela inadéquat.

Mais il faut comprendre que de tels groupes et de tels propos misogynes entravent gravement la sécurité et la liberté des femmes dans le monde. J’ai croisé à plusieurs reprises des phallocrates convaincus de leur supériorité mais, malgré le haut le cœur que ça m’a provoqué, je ne me suis jamais sentie en danger. Là, on parle d’un autre niveau… Encourager des attaques pour donner une leçon aux femmes « diaboliques », inciter au harcèlement et glorifier le viol? Vraiment? On laisse des gens diffuser ce genre de messages partout, sans gêne?

Je l’ai dit, je suis outrée. Choquée de voir que tant de gens se permettent autant d’idioties et que personne ne bloque la diffusion de ce genre de contenu. Troublée aussi par le fait qu’il ne s’agit pas de quelques hurluberlus isolés mais bien d’une communauté qui trouve ses racines partout dans le monde, et même chez-nous. Ébranlée par le fait que ce soit si proche de nous…

À force de donner accès à tout en tout temps, on a fini par laisser les gens se forger une idée malsaine du monde. La distorsion mentale survient quand, bombardé de faussetés, une personne finit par y croire et par propager ces mensonges autour d’elle. Elle en vient à voir les autres à travers une vitre déformée, comme si elle avait un filtre devant les yeux. Elle en vient à semer de la mauvaise graine autour d’elle et influence négativement les plus fragiles.

Et tout cela, ça relève de la santé mentale. Et devinez ce qu’on a fait ces dernières années concernant les soins en santé mentale? Et oui, on a coupé dans les budgets comme dans tout le reste, on a jeté à la rue des gens qui avaient besoin d’aide. Et après on s’étonne que ceux-ci, sans suivi, laissés à eux-mêmes, finissent pas s’en prendre aux autres, aux innocents.

Collectivement, on doit faire comprendre à nos gouvernements qu’il en va de notre sécurité et de notre qualité de vie à tous et qu’on veut réinvestir dans nos soins de santé pour que quelqu’un qui présente un trouble dans sa relation avec autrui puisse être aidé. Chaque humain sur terre, même celui qui a commis l’irréparable, mérite des soins de santé. Dans le « plus meilleur pays du monde », ce n’est pas normal qu’on laisse passer dans les mailles du filet social des gens troublés, qu’on les laisse errer sans s’en soucier. Peut-être que de tels drames finiront par ouvrir les yeux de nos dirigeants. Malheureusement, j’ai l’impression qu’il faudra un peu de pression de notre part pour qu’ils retrouvent le droit chemin…

 

Photo : Unsplash | Clay Banks

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