En lisant ce matin sur le décès de Madame Janine Sutto, je n’ai pu m’empêcher de me dire que personne ne pourra la remplacer. Cette grande dame qui a brillé entre autre sur les planches et à l’écran aura su, tout au long de sa carrière, entretenir cette flamme, cet amour inconditionnel de son métier et nous communiquer les émotions de ses personnages comme peu auront su le faire. Elle laisse un grand vide mais aussi de merveilleux souvenirs et une quantité impressionnante d’archives à visionner encore, et encore.
Puis, en faisant défiler les « pages » de La Presse+ sur ma tablette, je tombe sur l’article à propos de Cœur de pirate, Béatrice Martin de son vrai nom, qui déclare avoir besoin d’une pause. Et dans ma tête, ne me demandez pas pourquoi, mais il y a comme un drôle de lien qui s’est fait.
J’ai l’impression que, même si elle était née dans les années ’80, Madame Sutto n’aurait pas exposé sa vie sur les réseaux sociaux comme la chanteuse l’a fait. Loin de moi l’idée de juger ou de critiquer, j’ai simplement l’impression que, malheureusement, cette tendance à nourrir la bête finit parfois par engloutir.
La grande dame, incarnation de la sagesse et du respect, a toujours su garder un équilibre entre sa vie de famille et son art. Elle fut une grande artiste, une grande amoureuse de la vie, une inspiration pour plusieurs générations. Malgré les coups durs, elle a toujours eu cet étincelle au coin de l’œil, signe d’une inébranlable foi en l’humain.
Je me questionne donc sur la possibilité d’atteindre cet équilibre aujourd’hui, alors que tout va si vite, alors que tout se déroule en ligne avant même qu’on ait le temps de ressentir une émotion, que tout est public, partagé, liké… Cette Béatrice qui cherche ses repères et se perd dans le flot continu de commentaires à son sujet n’entretient-elle pas une relation malsaine avec cette perpétuelle lumière sur sa vie?
Comme je le mentionnais, ceci n’est pas un reproche à la chanteuse et compositrice mais plutôt un questionnement quant à notre rapport à ce monde infini qui n’oublie jamais. Hier je vous parlais de cette petite perle de bouquin de Rafaëlle Germain qui pose un regard critique sur cette mémoire incommensurable qui nous prive d’un certain anonymat. Je peux facilement imaginer que pour une vedette, c’est encore pire.
Il suffit de faire une recherche sur Google avec son propre nom pour réaliser que des pages nous concernant nous étaient totalement inconnues et que des photos de nous sont disponibles sans que nous n’ayons été conscients de leur prise. Et ce, en étant de simple mortel, une personne ordinaire, sans carrière médiatisée. Alors imaginez-vous ce que c’est que d’être connu!
Est-on encore capable de vivre sans vérifier son fil Facebook dans la journée, sans regarder nos courriels, sans accès internet, sans téléphone intelligent… Plusieurs en font des cures pour mieux apprécier le silence et pour prendre conscience de cette dépendance. Car oui, il s’agit la plupart du temps de dépendance, pernicieuse et vicieusement implantée dans nos vies sans que l’on en soit conscients.
On ne se souvient plus car on a un appareil pour immortaliser un moment, on n’apprend plus car on a accès à toute l’information du monde du bout des doigts. Mais ces beaux moments que nous a offert Mme Sutto par son talent et sa générosité, ils demeureront immuables, éternelles perles de plaisir, perdurant au-delà des réseaux sociaux car ils ont touché notre cœur. Souhaitons que Béatrice Martin trouve la paix intérieure et puisse revenir à cet art essentiel : celui de la communication de l’âme, celui du langage universel.
Photo : Unsplash | Elise St. Clair