Je ne sais pas pour vous, mais moi je suis relativement surprise à quel point on peut changer dans la vie. Je vous ai déjà raconté, je crois, que j’ai longtemps rêvé, quand j’étais petite, de mon grand bureau en haut d’une tour, comme le chantait Claude Dubois à l’époque. Une vue imprenable sur une grande ville, ce sentiment d’être dans les hautes sphères, cette ambition de faire partie des grands. Cette image était gravée dans mon esprit et m’a longtemps suivie, comme si c’était l’objectif ultime…
Aujourd’hui, je suis au 12e étage d’une tour du centre-ville, assise à un « cubicule » gris, avec comme fond sonore la ville mouvementée et la climatisation. Et je réalise à quel point cette image mentale était surfaite. Ce rêve devenu réalité ne m’a pas nourri comme je l’avais prédit, ne m’a pas apporté l’euphorie que je croyais garantie. Et je n’ai aucun regret, aucune nostalgie, aucun remord d’avoir fait ce parcours car il fait de moi ce que je suis aujourd’hui.
Mais je sais surtout que j’ai changé et que c’est la raison pour laquelle ce que je croyais être le saint Graal n’est en fait qu’un passage, une étape, un jalon sur mon parcours de vie. Je devais passer par là, je devais le faire pour, une fois pour toute, régler cette fausse impression que je trainais depuis longtemps. Le bonheur ne se trouve pas au 12e étage d’une tour…
Je me souviens aussi que j’avais terriblement hâte de quitter mon patelin natal pour venir explorer le monde à Montréal. Cette impression que tout était possible et qu’enfin je pouvais être moi-même. L’aspect un peu trop « tout le monde se connaît » en région peut être quelque peu étouffant pour une adolescente 😉
J’étais stressée mais excitée quand j’ai enfin pu venir m’installer dans la métropole, comme si ma vie prenait son envol et que je sortais de ma coquille. Pourtant, ceux qui me connaissent depuis longtemps savent que peu importe où je suis, il m’est difficile de rester dans un cocon bien longtemps…
Et aujourd’hui, ce qui est le plus ironique, c’est que je cherche régulièrement à me retrouver dans le bois, à reprendre contact avec la nature, à renouer avec mes racines de campagne. Comme si ce lien direct avec la terre m’apaisait et me ramenait à l’essentiel. J’ai cherché au bout du monde quelque chose que j’avais sous les yeux, comme si il m’avait fallu voir le reste pour apprécier ce qui faisait partie de moi.
Je disais donc que l’on change beaucoup, car à mes yeux, ce rêve longtemps muri a été réalisé mais ne m’a pas comblé comme je le croyais. J’y ai tant pensé, songé et j’ai tant imaginé le sentiment qui m’habiterait une fois rendu là, que j’en ai presque omis de prendre le pouls en cours de route.
Mais quand je regarde tout le chemin parcouru depuis cette époque où je rêvais de grandeur au fin fond de ma campagne paisible, j’ai presque le vertige de constater tout ce temps écoulé. Plus de trente années de bonheur, d’essais-erreurs, de tentatives, de rencontres, de découvertes, de pleurs et de rires, de grandes joies et de lourdes peines, de déceptions et de grands frissons. La petite fille qui voyait grand et qui ne mesurait pas l’immensité du monde est devenue une femme un peu (pas mal) plus sage.
Aujourd’hui, je suis fière de ce que je suis devenue et j’espère garder ce regard bienveillant sur moi-même, cette capacité de m’émerveiller, de me pardonner et de me faire confiance. Tous ces moments que j’ai vécus m’ont servi et ce qui m’attend sera aussi bénéfique et formateur. Car tout arrive pour une bonne raison, il faut simplement accepter ce fait et laisser la vie nous fournir les réponses…
Photo : Unsplash | Breather