La génération penchée

Warren Wong

Cette semaine, j’ai pris le métro plus souvent qu’à l’habitude et j’ai été vraiment frappée par tous ces gens, téléphone en main, dans leur bulle, qui pianotent sur leur écran, que ce soit pour jouer, texter ou flâner sur les réseaux sociaux. Comme si être en société était tellement intimidant qu’il fallait installer cette barrière. Et c’est sans compter l’effet sur la posture, courbée, le cou plié de plus en plus vers le bas.

Je me souviens, quand j’étais jeune, que l’on me disait de me tenir droite. J’ai toujours eu une faiblesse au dos et ma posture n’était pas… idéale disons. J’avais tendance à m’affaisser sur moi-même, à manquer de tonus. Et, chaque fois que je me sens ramollir sur mon siège aujourd’hui, je me redresse, comme un roseau après une bourrasque de vent. Mais quand je regarde tous ces gens qui cambrent, j’ai peine à croire que cela est sans impact.

Déjà, passer des journées complètes assis devant un écran, sans bouger, sans même solliciter nos muscles autrement que ceux des mains, c’est très nocif. L’être humain n’est pas fait pour être une patate de sofa, ni de bureau. De plus en plus de modèles de tables de travail flexibles, qui permettent d’alterner entre la position assise et debout, apparaissent sur le marché. Mais peu d’entreprises offrent cette option étant donné le coût substantiel de ces meubles adaptatifs.

On est devenus, depuis trop longtemps, des sédentaires du travail. Mais avec les téléphones intelligents et la drogue que constituent Facebook et autres plateformes sociales, on devient abrutis, dépendants et constamment absorbés par le monde virtuel, blessant notre corps sans conscience et se coupant de la vie extérieure. Et je trouve cela très triste.

Hier, un homme m’a littéralement bousculé tellement il était absorbé par son appareil et, après m’avoir percuté, il a simplement continué sa route, comme si rien n’était arrivé, sans s’excuser. C’est là que mon cerveau a capté toute cette mascarade de robots qui se déroulait autour de moi : tous ces gens qui naviguent dans le monde sans être conscients des autres autour, sans se préoccuper de la vie qui se déroule, sans penser à l’impact de leur comportement. Je vois des gens traverser la rue sur des feux rouges sans même lever le regard, des gens s’arrêter brusquement dans une foule qui avance pour répondre à un message, altérant le flot régulier des personnes autour, ou des groupes de jeunes silencieux, tous concentrés sur leur appareil au lieu de se parler.

Mais où s’en va-t-on ainsi? Que deviendra cette génération née avec un téléphone en main qui semble ne plus se préoccuper de rien d’autre? Quand on sent la panique d’une personne lorsqu’elle réalise qu’elle ne trouve pas son appareil, c’est assez flagrant de voir à quel point la dépendance est pernicieuse et sournoise. Personne ne s’est réellement rendu compte que ça s’installait mais quand j’observe la société, je crains de voir des gens en crise de manque bientôt…

Même moi, quand j’ai dix personnes autour de moi qui se focalisent sur leur écran, ça me démange de sortir le mien. Je me sens différente, décalée, en marge. Mais je me retiens car je n’ai pas envie de devenir un robot, qui n’est plus capable de penser sans être connecté virtuellement. Et dans ces moments, je respire et je tente d’utiliser ce moment pour analyser mon corps, mes sensations, mes émotions. Faire un petit tour de la maison intérieure, détecter si des raideurs se font sentir, trouver les tensions et relaxer. Je me dis que c’est mon meilleur remède contre ce fléau. Mais je ne peux m’empêcher d’avoir peur pour l’avenir de ces jeunes inconscients de l’impact sur eux d’être toujours scotchés à leur téléphone : cette génération penchée…

 

Photo : Unsplash | Warren Wong

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