Se mettre à l’abri

Sanmeet Chahil

Parfois, dans la vie, on doit choisir nos batailles. En fait, on doit choisir dans quoi on veut mettre nos énergies. Plus jeune, il m’arrivait souvent de me battre pour tout, j’étais une passionnée mais aussi une combative. Défendant la veuve et l’orphelin (métaphoriquement parlant), je pouvais monter au front, au quart de tour. Si quiconque avait besoin d’aide ou d’une voix, j’étais là, prête à y laisser quelques plumes et à mordre la poussière si la cause en valait la peine.

Avec l’âge, et la sagesse qui l’accompagne, j’ai compris que je m’épuisais inutilement. Il faut dire que j’ai fait quelques vols planés, quelques chutes douloureuses, qui m’ont appris à doser et à comprendre qu’on ne m’aimerait pas moins si j’étais plus douce et sélective dans mes combats. J’ai eu longtemps l’impression que c’était normal d’être si disponible pour tout le monde et que c’était presque un devoir de sauter dans l’arène.

Mais un congé de maladie et de l’urticaire géant ont fini par me convaincre que je devrais peut-être revoir l’intensité de mon implication et d’être plus à l’écoute de mes réels besoins. C’est que, voyez-vous, j’avais plus de facilité à écouter les autres qu’à percevoir la petite voix intérieure qui me chuchotait que je n’allais pas bien. Et, on va se le dire, c’est valorisant de se faire dire qu’on est fine et généreuse…

Mais la générosité a son prix et à force de donner, je n’avais plus d’énergie pour moi-même. Alors j’ai appris à me mettre à l’abri de mes propres élans, à me protéger de moi-même en quelque sorte. En faisant quelques examens de conscience ponctuels, en prenant le pouls de mon état mental, j’arrive maintenant mieux à savoir quand c’est assez, quand je dois me retirer, quand je dois me prioriser.

Pendant un certain temps, j’avais le sentiment d’être égoïste puisque je n’étais pas familière avec cette pratique, aussi étrange que cela puisse paraître. C’est comme si mon cerveau avait été formaté pour s’ouvrir plus vers l’extérieur que l’intérieur. Malgré cela, avec du travail et de la patience (autre nouveau concept pour moi), j’ai tranquillement modifié mon angle de vue et appris à ressentir les choses au lieu de les subir après coup.

Parfois, je regarde en arrière, je repense à ces moments d’angoisse, à cette lourdeur qui venait d’un épuisement dissimulé, et je me dis que j’ai beaucoup de chance d’avoir croisé les bonnes personnes, au bon moment. Mon instinct de survie m’a tout de même servi à laisser entrer dans ma vie ces personnes merveilleuses qui, lentement, ont su percer ma carapace, doucement et avec tendresse. Jusqu’à ce que mon esprit et mon cœur se laissent toucher, bercer et transporter.

Maintenant, quand je sens que je m’éloigne de mon équilibre, quand la balance penche trop d’un bord, je prends un pas de recul, je me tempère. Et je repense aux impacts négatifs qu’ont eu mes épisodes effrénés. Quand on a des marques encore visibles, quand on peut encore sentir la boule dans notre ventre qui nous rongeait de l’intérieur, ça demeure des repères très utiles pour rester loin des ténèbres.

Si vous sentez parfois que vous n’investissez pas vos énergies pour vos propres besoins, je vous suggère de prendre du recul et de vous demander, le plus sincèrement du monde : si c’était une autre personne qui vivait cela, qu’est-ce que je lui suggérerais? Il se peut que la réponse ne vous plaise pas mais il y a de fortes chances qu’elle soit celle qui vous convienne le mieux…

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