Se remettre en selle

Kari Shea

Ce matin, je suis déçue de nous. Déçue parce que j’avais espoir qu’on avait compris certaines choses collectivement, appris des erreurs du passé, réalisé que personne n’est invincible ni protégé de la souffrance, la maladie, incluant la maladie mentale. Mais une personne que je connais m’a fait part de plusieurs expériences dénigrantes et affligeantes qu’elle a subi en se cherchant du travail après un épisode dépressif. S’ajoutant à cela le récit de la jeune femme qui a perdu son programme d’échanges étudiants à l’étranger car elle a osé être honnête sur un passage sombre de sa vie, je crois qu’il faut encore et toujours parler de tolérance, d’acceptation et d’inclusion.

Personnellement, j’ai vécu des périodes grises, des doutes profonds, des mois où mon estime de moi est descendue au quatrième sous-sol de mon esprit, des périodes durant lesquelles je ne voyais pas la lumière au bout du tunnel, où j’avais l’impression que le monde était contre moi. Pourtant, quiconque me croise aujourd’hui ne peut absolument pas soupçonner cela en me voyant et en me côtoyant. Tout simplement parce que ça ne se voit pas. Ce n’est pas comme un bras cassé : c’est intérieur mais pas pour autant moins souffrant. Et ça ne laisse pas de cicatrice physique mais on ressort de là un peu transformé, inévitablement.

Et je connais peu de gens qui n’ont pas déjà frappé un mur. Tous n’ont pas eu un diagnostic officiel et chacun trouve sa façon de se sortir de ce passage à vide. Mais chose certaine, personne n’est à l’abri, un jour, de ne plus avoir envie de rien et de se sentir inutile. Que ce soit relié au travail, au relationnel ou à soi-même, un trouble de santé mental demeure important et doit être considéré comme tel. Ça je pense qu’on commence à le comprendre. Mais après, il se passe quoi?

Expliquer un trou de plusieurs mois, voire de plusieurs années, dans son cv, ce n’est pas toujours évident. J’ai vu certaines personnes s’en sortir en utilisant la carte des enfants pour masquer le fait que même sortir du lit le matin était trop pénible. « J’ai choisi de prendre soin de ma famille pendant quelques temps » est moins pénalisant que « je n’allais pas bien ». Pourquoi? Parce que beaucoup d’employeurs jugent encore les arrêts pour cause de maladie comme une faiblesse chez un candidat. Et dans leur tête, cette faiblesse, c’est un risque inutile.

Pourtant, s’il y a une chose qui m’a fait prendre conscience de mes forces, de mes capacités et qui m’a fait avancer, c’est justement d’avoir frappé le mur de l’épuisement, c’est d’avoir dû prendre soin de moi, d’avoir eu à consulter pour me reconstruire. On ne nait pas avec un mode d’emploi qui nous aide à nous protéger alors parfois, oui, il faut tomber pour apprendre à rester debout, plus fort.

Des fois je me dis que ces gens qui jugent et qui se croient supérieurs sont simplement des personnes qui n’ont pas « encore » atteint leur limite. Que tôt ou tard, la vie les rattrapera. À lire les statistiques, de plus en plus de gens arrivent un jour à cette étape de remise en question qui les font dégringoler dans une spirale infernale.

Quelqu’un qui a déjà vécu un épisode dépressif peut sans doute apprendre à ses collègues à mieux se respecter et éviter à l’entreprise de perdre des joueurs au combat. Tirer un bénéfice de l’expérience de chacun, ce devrait être un réflexe inné chez les gestionnaires au lieu de faire perdurer les tabous à l’égard des arrêts de travail. Cessons de masquer l’évidence et osons en parler, acceptons qu’on a tous des hauts et des bas et regardons vers l’avant. Ça nous aidera à grandir, collectivement…

 

Photo : Unsplash | Kari Shea

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