Le rôle principal de sa vie

Sarah Cervantes

À de nombreuses reprises, on m’a dit que je ne faisais pas mon âge. Bien que flatteur, ce commentaire m’a toujours intriguée car, ça veut dire quoi, au juste, faire son âge? Je l’ai souvent dit, je suis allergique aux moules (pas la bouffe, là, les cadres) qu’on tente de m’imposer. Quand on essaie de me formater, de me forcer à devenir quelqu’un d’autre, je pars dignement, sachant que ma santé mentale vaut plus que tous les salaires du monde.

Mais est-ce que ça fait de moi quelqu’un de différent? Je ne crois pas. Je suis peut-être plus consciente que d’autres, grâce à l’expérience qui est rentrée, parfois de manière rude et troublante. Mais faire son âge… Je n’arrive pas à définir cette affirmation. Est-ce que cela signifie que je devrais avoir un tailleur et des talons hauts? Je n’en sais rien.

Juste le mot devoir me dérange. Mises à part les lois à respecter, et bien entendu une certaine éthique en société dans nos faits et gestes, je ne vois pas pourquoi on s’imposerait d’être autrement que notre nature profonde. Si j’aime les tatouages, changer de couleur ou de coupe de cheveux, porter des jeans et des t-shirts, qui ça regarde à part moi? N’est-ce pas un vieux réflexe de religion catholique de vouloir nous rendre tous pareils, nous uniformiser?

Les stéréotypes font souffrir bien des gens qui se considèrent différents. Car, détonner, ça attire les regards et on n’a pas toujours envie de se justifier. Et on ne devrait pas avoir à le faire. Mais quand ce qu’on dégage ne semble pas correspondre à ce qu’on attend d’une personne de notre âge, c’est étrange. Car ça reflète les perceptions des gens, leurs attentes, leurs définitions personnelles. Mais, en réalité, ça n’existe pas, les moules. Ce sont des créations de l’esprit, un truc pour se réconforter, pour catégoriser.

Ça me fait penser à Céline Dion qui ne finit plus de nous étonner avec ses looks tous plus excentriques les uns que les autres. Beaucoup la critique et juge qu’elle devrait rester plus sobre, se garder une petite gêne comme on dit. Mais elle vit, elle est flamboyante, elle a clairement du plaisir à ainsi explorer. En quoi ça nous dérange? C’est sa vie, ce n’est pas la nôtre. N’y a-t-il pas là un peu d’envie devant tant d’audace? On peut ne pas aimer son style mais de là à réclamer qu’elle se calme…

Vivre et laisser vivre, voilà ma philosophie. Mais ça vient avec une obligation d’assumer qui l’on est car, inévitablement, on finit par se confronter à des gens qui voudraient qu’on soit autrement. C’est pourquoi j’ai décidé d’être à mon compte et c’est aussi, probablement, un peu pourquoi je suis célibataire. Car nombre d’hommes que j’ai rencontrés dans des dates auraient voulu que je sois plus « sage ». La bonne petite femme tranquille qui prépare de bons petits plats, qui acquiesce aux propos de son homme et qui ne dérange pas. Mais je ne serai jamais ainsi.

Notre nature profonde, on doit la connaître pour cesser de sentir cette oppression constante qui tente de nous faire taire. C’est beau s’assumer, c’est énergisant, c’est vivifiant. Et c’est ainsi que j’ai chassé l’anxiété troublante qui m’accompagnait en permanence. J’ai trop longtemps subi cette pression d’être la bonne fille et je ne comprenais pas que j’étouffais. Maintenant, je respire à plein poumon.

Faire mon âge alors… Je ne peux même pas imaginer ce que ce serait et ça ne me tente pas de le savoir. J’assume mon petit brin de folie, ma diversité intérieure, mon côté tomboy qui côtoie mon côté femme, mon besoin de solitude mais aussi mon amour profond des humains, mes passions contradictoires et mes goûts bien personnels. Et si ça ne correspond pas aux standards d’une femme à l’aube de la quarantaine, tant pis. Je vis bien avec cela. Soyons nous-même, la vie est trop courte pour jouer un rôle de second plan.

Photo : Unsplash | Sarah Cervantes