Que voyez-vous quand vous regardez dans le miroir? Avez-vous l’impression d’y voir une inconnue, de ne pas connaître vraiment la personne qui vous est présentée? Ou êtes-vous plutôt fière du reflet, de ce que vous êtes devenue, de ce doux visage souriant devant vous? Êtes-vous capable de soutenir votre propre regard, d’avoir sur vous la vision indulgente que vous préconisez pour les autres?
Cette fin de semaine, j’avais quelques emplettes à faire et j’ai assisté à une scène qui m’a fait réaliser à quel point on peut être terriblement dur envers nous-mêmes. Une mère et sa fille magasinaient des vêtements pendant que je tentais en vain de trouver les mitaines parfaites. L’objectif de leur quête me semblait être un manteau d’hiver pour la progéniture mais c’est surtout l’échange qui a retenu mon attention.
La jeune fille pointait systématiquement des manteaux trop courts, trop minces ou trop peu au goût de sa mère. Chaque choix se faisait retourner, aucune possibilité ne trouvait écho. Tout était incorrect, inadéquat ou ridicule si je me fiais au discours de la mère. En levant les yeux, j’ai croisé le regard de celle qui tentait en vain de faire plaisir à sa mère sans avoir l’air trop fou à l’école devant ses camarades. Et j’y ai vu une détresse et une tristesse déconcertantes.
Je me suis souvenue de l’ingratitude de cette âge, ce moment dans la vie où on ne sait pas trop qui on est, cette période atroce où nos bras sont trop longs, où notre corps se transforme à chaque jour et où on voudrait tant que la vie soit facile. Et c’est tout ce que j’ai lu dans ces yeux, le désarroi et l’incompréhension de ce qui se déroulait autour. Je n’ai pu m’empêcher d’entendre (il faut dire que le ton était particulièrement haut perché) mais surtout de me rappeler les tourments de l’adolescence.
Entendre cette jeune fille dire d’elle-même qu’elle a l’air d’un tonneau alors qu’elle devait peser 100 livres tout au plus, j’ai trouvé ça troublant. Comment se fait-il qu’on se laisse ainsi diminuer par notre propre cerveau? Est-ce un mal nécessaire ou n’y a-t-il pas moyen de bâtir notre estime autrement que par les années qui passent? Est-ce que notre société est à ce point nocive pour que chaque jeune fille naisse avec les gènes de l’autocritique extrême?
L’histoire, dans ce cas-ci, s’est bien terminée, en quelque sorte. Un compromis a été trouvé, la crise a été évitée, la mère et la fille ont trouvé un terrain d’entente et le tout s’est terminé dans un gros câlin familial. Mais je sais qu’il s’en fallait de peu pour qu’il en soit autrement. Et je suis restée avec un goût amer dans la bouche, une impression qu’on a raté quelque chose. On a tous vécu cette période, certains mieux que d’autres, mais personne n’agit pour que ça change, ou si peu le font.
Et, des années plus tard, beaucoup d’entre nous ont toujours ce sentiment mitigé face à leur propre corps, à leur propre personnalité, à leur talent, à leur valeur. Des gens regardent systématiquement leur reflet dans les portes du métro alors que d’autres le fuient comme la peste. Et pourtant, ce corps, ce visage, nous suivra toute notre vie. Alors au lieu de combattre ou de se voiler la face, pourquoi ne pas s’accepter, s’aimer tel que l’on est?
On ne parle pas ici de narcissisme mais de bienveillance, d’amour de soi, de respect et d’empathie. Prendre soin de soi, ça implique aussi l’acceptation de son corps et de ses petits travers. Ce corps nous a mené fièrement où nous sommes rendus, on devrait donc l’honorer plutôt que le détester ou le critiquer. Alors, je vous le demande, à quoi pensez-vous quand vous regardez dans le miroir?
Photo : Unsplash | Bekah Russom