Récemment, je discutais avec une amie de mes quelques rages de magasinage annuelles qui m’aident à me retenir le reste de l’année. Et, en en parlant, je savais pertinemment que ces moments de folie passagère sont purement du luxe, que je n’ai pas de nécessité réelle à combler et que Pierre-Yves McSween me jugerait probablement en sachant évidemment ma réponse à sa fameuse question : en as-tu vraiment besoin?
Mais, j’ai aussi réalisé qu’on a chacun notre définition très personnelle du luxe, et que, quand c’est pleinement assumé et que ça ne met pas en péril notre santé financière, notre stabilité et notre intégrité, il n’en tient qu’à nous de faire ce qu’on veut de notre argent. Bien entendu, je pourrais tout donner à des œuvres de charité, je pourrais investir encore plus dans mes REER, je pourrais soutenir plus de causes… Mais, j’ai compris que me faire plaisir constitue une raison de travailler aussi fort et que, si je ne le fais pas, ma motivation diminue.
En écrivant cela, je sais nécessairement que je ne suis pas parfaite, que je n’agis pas en totale harmonie avec mes principes fondamentaux de communauté, de collectivité et de partage des richesses. Mais je n’ai pas non plus fait vœu de pauvreté alors je m’assume. Je tente de garder un certain équilibre, de doser entre la contribution et les gâteries, entre mon bonheur et celui d’autrui. Et je crois que je m’en sors pas pire de ce côté-là…
Mais je réalise aussi que j’ai parfois un sentiment de culpabilité, comme si faire de l’argent, bien vivre, se payer du luxe, c’était mal. Probablement un vieux fond de religion catholique ancré profondément dans mon âme est-il la source de ce sentiment. Néanmoins, je comprends maintenant ce que les artistes bien nantis expriment quand ils parlent du jugement qu’ils reçoivent quant à leur succès, leur réussite et, inévitablement, au salaire qu’ils perçoivent pour leur art, leur performance ou leur travail.
Je n’ai pas de commentaires des gens et je le sens malgré tout alors je n’ose croire ce que vivent ces artistes, bâtisseurs de notre culture, sur les réseaux sociaux. Je suis loin d’être millionnaire et encore plus de vivre dans un château. Mais je n’ai pas à me priver et ça me gêne parfois. Je me questionne sur la pertinence de mes achats, de mes gestes, de mes envies. Je me demande si je ne suis qu’un produit de la publicité, influencée de toute part par le monde qui m’entoure.
Une partie de cela est vrai car le monstre est immense. Mais je demeure très alerte, à l’affût des endoctrinements et tendances néfastes. Je me suis désabonnée de la majorité des infolettres que je recevais, j’ai scruté à la loupe les « intérêts » que Facebook m’avait assignés et je diminue drastiquement mon exposition à la publicité, que ce soit via la télé ou le Web. Bref, je travaille fort mais j’ai toujours l’impression que ce n’est pas assez, que je n’ai pas le plein contrôle.
D’un autre côté, je travaille dans le monde numérique et je n’ai pas envie de le quitter, ni d’aller vivre dans le fond d’une caverne. Je dois être vigilante, sans en faire une maladie, rester vive d’esprit et distinguer les réels besoins de ce qui m’est « imposé ». Un exercice exigeant au quotidien me direz-vous? Oui, et c’est pour cela que j’en parle car je sais que je suis loin d’être la seule à vivre ce genre de dilemme, de préoccupation.
On a chacun notre définition du luxe de même que notre envie de faire mieux, de s’améliorer et de revoir ses priorités. On a une responsabilité de consommation responsable en tant que citoyen et c’est ce qui constitue le fondement de ma démarche. Agir et consommer, oui, mais intelligemment, en accord avec mes valeurs et principes, avec ce que je considère juste et louable. Ce n’est peut-être pas reposant mais au moins, je dors bien de me savoir interpellée au lieu de me mettre la tête dans le sable…
Je terminerai sur cette fable du colibri, de l’agriculteur bio et militant algérien Pierre Rabhi :
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit :
« Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »
Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »
Photo : Unsplash | Daniel Olah